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Bosnie-Herzégovine : Trente ans après Dayton, une paix toujours fragile sous le regard de l'Europe et de la Russie
La Bosnie-Herzégovine se trouve à une croisée des chemins historique. Alors que le pays célèbre le trentième anniversaire des accords de Dayton, qui mirent fin à une guerre dévastatrice (1992-1995), l'euphorie de la paix a laissé place à une inquiétude croissante. Ce qui était censé sceller définitivement la réconciliation des peuples serbes, croates et bosniaques semble aujourd'hui s'apparenter à une "paix de façade", minée par des tensions politiques internes et des ingérences géopolitiques extérieures.
Une décennie de tensions politiques et régionales
Le contexte actuel de la Bosnie-Herzégovine est marqué par une instabilité politique sans précédent depuis la fin de la guerre. La pierre d'achoppement reste l'équilibre institutionnel instauré par l'Accord de Dayton, qui a créé un État complexe composé de deux entités : la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine (majoritairement croate et bosniaque) et la République serbe de Bosnie (Republika Srpska).
Les tensions les plus vives émanent de la République serbe de Bosnie. Nenad Stevandic, une figure politique de premier plan de cette entité, a récemment déclaré dans une interview au JDD que "l'UE finira par se réconcilier avec la Russie". Cette phrase, loin d'être anodine, résume la stratégie de Sarajevo : attendre que le vent géopolitique tourne pour s'affranchir des pressions occidentales. Selon Stevandic, la Bosnie ne doit pas craindre les sanctions européennes ou américaines, car le "réalisme politique" finira toujours par l'emporter sur l'idéologie pro-occidentale.
Cette posture s'inscrit dans une dynamique de défiance envers les institutions centrales de l'État et envers l'Union européenne, qui maintient une présence militaire (EUFOR) sur place pour garantir la stabilité.
Les accords de Dayton : une architecture devenue obsolète ?
Pour comprendre la crise actuelle, il faut revenir sur la portée des accords de Dayton. Signés en 1995 à Dayton (Ohio) puis entérinés à Paris, ces traités ont mis fin aux combats mais ont généré une structure étatique lourde et paralysée.
Trente ans plus tard, les experts s'interrogent sur la pérennité de ce système. Comme le souligne une analyse récente du Courrier International, l'équilibre issu de Dayton est aujourd'hui "très fragile". Le système politique, basé sur un partage du pouvoir ethnique, favorise le blocage institutionnel. Les dirigeants politiques, jouant sur les peurs et les souvenirs du conflit, peinent à trouver un consensus pour avancer vers les réformes nécessaires à l'intégration européenne.
L'anniversaire des accords a donc été l'occasion de constater l'absence de véritable réconciliation nationale. Les récits historiques divergent toujours radicalement entre les communautés, empêchant l'émergence d'une mémoire collective apaisée.
L'ombre de Moscou et la géopolitique des "conflits gelés"
La situation en Bosnie-Herzégovine ne peut être analysée sans prendre en compte le contexte international, notamment la guerre en Ukraine et les tensions entre l'Occident et la Russie.
Selon Sead Turcalo, géopolitologue cité par le journal Le Monde, la Bosnie et le Kosovo sont instrumentalisés par Vladimir Poutine. Turcalo affirme que "Pour Poutine, la Bosnie et le Kosovo, présentés comme des conflits gelés, sont des outils contre l'Occident". Cette analyse met en lumière la stratégie russe de maintien de zones d'instabilité aux portes de l'Europe pour déstabiliser l'Union européenne et l'OTAN.
La République serbe de Bosnie entretient des liens privilégiés avec Moscou, tant sur le plan économique (notamment dans le secteur de l'énergie) que culturel et politique. Cette orientation pro-russe crée une fracture profonde au sein du pays et complique les relations avec l'Union européenne, qui demeure le principal partenaire économique de la Bosnie mais peine à imposer une vision unifiée.
Implications immédiates : Économie et Climat Social
Les tensions politiques ont des répercussions concrètes sur la population bosnienne. Le pays souffre d'une émigration massive de sa jeunesse, qui part chercher des opportunités ailleurs en Europe, lassée par la corruption et l'immobilisme politique.
Sur le plan économique, l'incertitude politique freine les investissements étrangers. Bien que la Bosnie-Herzégovine ait le statut de candidat à l'UE depuis 2022, le manque de réformes structurelles et les discours sécessionnistes retardent l'ouverture des négociations d'adhésion.
Le climat social reste tendu. Les discours nationalistes, bien que n'ayant plus la virulence de ceux des années 90, continuent d'attiser les méfiances intercommunautaires. La gestion de la mémoire de la guerre reste un sujet tabou et explosif, empêchant la construction d'un avenir commun basé sur la justice et la vérité plutôt que sur l'oubli imposé.
Perspectives d'avenir : Vers une nouvelle fragmentation ?
À l'horizon 2025 et au-delà, plusieurs scénarios sont envisagés par les observateurs internationaux.
Le risque majeur reste celui d'une rupture de l'équilibre de Dayton. Si les dirigeants de la République serbe franchissent la ligne rouge des réformes institutionnelles ou de l'organisation de référendums sur l'autonomie, le pays pourrait basculer dans une crise majeure. Les déclarations de Nenad Stevandic, évoquant une réconciliation inévitable de l'UE avec la Russie, suggèrent que les autorités de Banja Luka sont prêtes à parier sur un changement d'ordre mondial pour légitimer leurs revendications.
Cependant, l'Union européenne reste l'acteur clé. En décembre 2023, le Conseil européen a ouvert les négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine, sous réserve de nouvelles réformes. C'est une carte maîtresse pour Sarajevo : si l'espérance d'une intégration européenne se matérialise, elle pourrait offrir une alternative crédible aux sirènes de l'est et contraindre les nationalistes à modérer leurs positions.
En conclusion
Trente ans après la fin de la guerre, la Bosnie-Herzégovine est un pays qui respire, mais qui peine à se libérer totalement du poids de son passé. Elle est prise en étau entre une Europe hésitante et une Russie opportuniste. L'avenir du pays dépendra de la capacité de ses dirigeants à dépasser les logiques ethniques et de la détermination de la communauté internationale à empêcher que la "stabilité" ne soit confondue avec la "résignation".
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